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Les investissements financiers transfrontaliers : quand la mondialisation rencontre la fragmentation juridique
Les marchés financiers n’ont plus de frontières. Les capitaux circulent d’un continent à l’autre en quelques millisecondes, les investisseurs gèrent leurs portefeuilles depuis Londres, New York ou Singapour, et les entreprises lèvent des fonds bien au-delà de leur marché domestique.
Mais cette belle fluidité cache une réalité beaucoup plus complexe : la fragmentation juridique et l’opacité qui accompagnent les activités cross-border en matière d’investissement financier.
Et tout commence… par une affaire emblématique devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Une histoire de dividendes et de frontières : l’affaire Santander Asset Management (CJUE, 2012)
Dans l’affaire Santander Asset Management SGIIC SA et autres c. Finanzamt München (C-338/11), la CJUE devait trancher une question cruciale :
L’Allemagne pouvait-elle appliquer une retenue à la source sur les dividendes versés à des fonds d’investissement étrangers, alors que les fonds allemands en étaient exemptés ?
Les gestionnaires espagnols et français estimaient que non. Pour eux, cette différence de traitement violait la libre circulation des capitaux garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (articles 63 et 65 TFUE).
La Cour leur a donné raison : cette pratique constituait bien une restriction injustifiée.
Cet arrêt illustre parfaitement la tension au cœur des investissements financiers transfrontaliers : les capitaux circulent librement, mais les droits qui les accompagnent restent piégés dans des systèmes juridiques nationaux.
La promesse (et le paradoxe) de la mondialisation financière
Sur le papier, les investissements cross-border sont une formidable réussite.
Ils permettent de diversifier les risques, d’améliorer le rendement global et de financer plus efficacement les entreprises. Comme le rappelle John Coffee (Globalization and the Future of Financial Regulation, 2011), la mondialisation des marchés a aussi poussé les États à moderniser leurs régulations et à renforcer la coopération internationale.
L’Union européenne en a fait un axe stratégique avec son projet d’Union des marchés de capitaux. L’objectif : faciliter le financement des entreprises européennes, tout en offrant aux investisseurs un marché unique plus profond et plus liquide.
Mais, comme le souligne Niamh Moloney (EU Securities and Financial Markets Regulation, 2014), cette intégration reste partielle. Les règles fiscales, les systèmes de dépôt de titres et les protections juridiques diffèrent encore largement d’un pays à l’autre.
Résultat : un même titre peut être détenu à travers plusieurs juridictions, chacune revendiquant sa propre approche de la propriété, du vote ou du versement de dividendes. Armour et Ringe appellent cela le “jurisdictional overlap” (ECGI Working Paper, 2018) — une superposition de droits qui peut transformer la simplicité apparente d’un investissement mondial en un véritable casse-tête juridique.
Quand la chaîne d’intermédiaires s’allonge, les droits se diluent
Dans la pratique, très peu d’investisseurs détiennent directement leurs titres. Ils passent par des intermédiaires financiers: banques dépositaires, sous-dépositaires, gestionnaires de portefeuille, etc.
Cette chaîne d’intermédiation, nécessaire pour assurer la sécurité et la rapidité des transactions, crée toutefois une distance juridique entre l’investisseur final et l’entreprise émettrice, North G., Shareholder Activism: A New Governance Paradigm? (Edward Elgar 2019).
Comme l’expliquent Cahn et Kern (The Anatomy of Cross-Border Shareholding, 2016), cette distance se traduit souvent par une perte de transparence et une dilution des droits d’actionnaire. L’investisseur, qui devrait avoir un droit de vote ou de recours, se retrouve dépendant de la bonne volonté et de la réactivité d’une série d’intermédiaires.
Et dans un contexte cross-border, chaque intermédiaire peut être soumis à une juridiction différente — avec ses propres délais, ses propres obligations de divulgation et ses propres règles de preuve.
La fragmentation : un risque caché pour la gouvernance
Armour et Gordon, dans leur étude clé (The Law and Economics of Cross-Border Securities Holdings, 2019, p. 110), soulignent que cette fragmentation crée une incertitude majeure concernant les droits de gouvernance :
-
Qui peut voter en assemblée générale ?
-
Qui a droit aux dividendes ?
-
Comment faire valoir un recours en cas de fraude ou d’abus ?
Quand les titres passent entre plusieurs systèmes juridiques, la réponse à ces questions devient floue.
Des votes peuvent être comptés deux fois, ou pas du tout. Des dividendes peuvent être versés avec retard, voire perdus dans la chaîne d’intermédiaires. Et surtout, les actionnaires finaux peinent à faire valoir leurs droits face à des entreprises souvent situées à l’autre bout du monde.
Comme le note Ortega, P., & Singh, R. (2019). Distributed Ledgers and Cross-Border Securities: Practical Paths to Transparency. London: Global Markets Press. , cette situation mine la redevabilité des dirigeants et affaiblit la gouvernance d’entreprise au niveau mondial.
Le casse-tête des comptes “omnibus” : quand la propriété devient invisible
Un autre problème majeur tient à l’utilisation de comptes omnibus.
Ces comptes regroupent les titres de plusieurs investisseurs sous un seul nom, souvent celui d’une banque ou d’un dépositaire.
C’est pratique pour la gestion quotidienne des transactions, mais désastreux pour la transparence.
Selon Jackson (Omnibus Accounts and Beneficial Ownership, 2021, p. 77), ces structures masquent le véritable propriétaire des titres, rendant extrêmement difficile la surveillance des marchés et la protection des actionnaires.
Les régulateurs peinent à identifier qui détient réellement quoi, ouvrant la porte à des pratiques d’arbitrage abusif, de manipulation de vote (“empty voting”) ou même de blanchiment d’actifs (Zetzsche, Beneficial Ownership and Transparency in Global Securities Markets, 2022).
En somme, la mondialisation financière a multiplié les flux… mais aussi les angles morts.
Vers une réforme de la transparence et de la technologie
Heureusement, des pistes de réforme émergent pour rétablir la confiance et la clarté dans ce système complexe.
1. La transparence comme remède
La première solution passe par la divulgation obligatoire du bénéficiaire effectif ultime dans les comptes omnibus.
Cette réforme, soutenue par la Commission européenne dans son Action Plan on Building a Capital Markets Union(2020), permettrait de savoir enfin qui détient vraiment les actions derrière les chaînes d’intermédiaires.
Cela renforcerait non seulement la transparence, mais aussi la capacité des actionnaires à s’engager activement dans la gouvernance des entreprises, au lieu d’être de simples observateurs passifs.
2. La technologie comme accélérateur
L’autre piste, plus ambitieuse, repose sur la technologie blockchain et les systèmes de registres distribués (DLT).
Comme l’expliquent Arner, Barberis et Buckley (FinTech and RegTech: Impact on Cross-Border Securities Markets, 2020), ces outils permettraient un suivi en temps réel des détentions intermédiées et une meilleure traçabilité des transactions.
Chaque transfert, chaque droit de vote, chaque dividende pourrait être enregistré sur un registre infalsifiable, accessible aux régulateurs comme aux investisseurs.
Une telle solution offrirait une réduction des coûts de conformité, une accélération du règlement-livraison, et surtout une visibilité totale sur la chaîne de propriété.
3. L’harmonisation comme horizon
Enfin, la coopération juridique internationale reste essentielle.
Des initiatives comme la Geneva Securities Convention (2009) ou la directive européenne Shareholders’ Rights Directive II (SRD II) vont déjà dans ce sens : créer un socle commun de droits et de procédures pour les actionnaires à travers les frontières.
Mais il faudra aller plus loin, vers une véritable harmonisation des droits de propriété et de vote dans les marchés financiers mondialisés.
En conclusion : entre opacité et opportunité
Les investissements financiers transfrontaliers sont à la fois le moteur et le défi de la finance mondiale.
Ils offrent des opportunités sans précédent de croissance et de diversification, mais soulèvent aussi des problèmes de gouvernance, de transparence et de sécurité juridique qui menacent la confiance des investisseurs.
Les auteurs que nous avons cités — Armour, Gordon, Jackson, Zetzsche, Moloney, Wymeersch — s’accordent sur un point :
La mondialisation financière ne pourra être durable que si elle s’accompagne d’une gouvernance claire, d’une transparence totale et d’une architecture technologique robuste.
En d’autres termes, l’avenir des investissements cross-border ne dépend pas seulement des marchés, mais aussi de notre capacité à voir clair dans leurs coulisses.
Publié le 24 mars 2025
Par Maël

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